Mercredi 13 mars 2019

Cher Journal,

La nuit du vendredi 8 au samedi 9 mars 2019 a eu un côté un peu pénible. Non pas que la location dans un hôtel New-yorkais par Air France eût été d'une qualité discutable, bien au contraire ont été offert un repas chaud, un lit pour la nuit et un petit déjeuner le matin, mais les évènements encore frais relatés dans l'entrée de journal de la veille ont eu un impact catastrophique sur mon état de santé mentale instantané. Faute d'appétit, un fond d'assiette de riz et de poulet émincé me suffisent. Mon sommeil est hanté par des sensations de chute libre qui se succèdent à l'image des pompiers le long de la piste d'atterrissage. Finalement, c'est le réveil, à 6:00, heure de New-York, merci à mon télépomme de changer de TZ sans rien me demander. Pour éviter de tomber d'inanition, le petit-déjeuner est un peu plus chargé, enfin dans ma tête, mais mon café n'est même pas terminé en quittant le salon.

L'aéroport international John Fitzgerald Kennedy

La veille, au sortir de l'avion, après mon absence de récupération de bagages, vive le voyage léger, un terre-bus était affrété par Terre France pour mener les passagers vers les différents hôtels réservés en urgence. Après le petit-déjeuner donc, le moment était venu de retourner à l'aéroport via la navette de l'hôtel.

L'horloge affiche sept heures.

Arrivé à l'aéroport, après un petit tour rapide de l'ilot d'accueil d'Air France, un curieux représentant d'une autre compagnie me reçoit assez froidement à grand coups de Air France one PM. Bon, admettons, si l'accueil ouvre à 13:00, alors attendons. Direction est prise donc vers les sièges d'attente de l'aéroport.

L'horloge affiche huit heures.

D'autres personnes se font recevoir, admettons...

L'horloge affiche neuf heures.

Rétablissement de la data sur le télépomme, tant pis pour le coût, quelques messages doivent être envoyés pour rassurer les personnes qui m'attendent comme quoi mon intégrité corporelle a été conservée dans la manœuvre. Une bonne surprise apparait dans la boîte de réception, sous la forme d'un courriel m'indiquant qu'une place m'a été réservée dans un appareil. Direction est prise vers la borne la plus proche, dans le but d'obtenir la carte d'embarquement pour obtenir les détails du vol. Tout baigne, départ le jour même, par le vol de 21:30.

L'horloge affiche dix heures.

L'accueillant monsieur grincheux me fait de grand signe pour me signaler la présence de quelqu'un, toujours d'une autre compagnie, qui pourrait éventuellement cette fois répondre à mes questions. Ayant eu mes réponses par ailleurs, mes tentatives de signifier que tout va bien se soldent par des you can see someone here. Soit...

Moi - Good Day! Well according to the gentleman up there, I would need to get to you for more information, although it turned out I could obtain the boarding pass I was seeking through the machine down there. By chance, is there something I might need to be aware of?
Host - Mostly that you will have to get through the security up there and then you'll be able to access to gates, then the plane.
Moi - Well thank you!

Ayant eu l'essentiel des informations nécessaires afin de savoir mon retour à la maison dans un temps borné m'a enlevé un poids. Ainsi débute une tentative de franchissement de la sécurité dans l'aéroport.

Étape première, validation de la carte d'embarquement. La carte d'embarquement est refusée. Ma présence à la sécurité est a priori trop prématurée. Direction les sièges d'attente de l'aéroport.

L'horloge affiche onze heures.

D'autres français dans une situation similaire se font recevoir. Les siège d'attente se remplissent de toutes sortes de gens.

L'horloge affiche midi.

Mes lèvres sèchent. C'est la déshydratation qui guette. Un petit tour pour me dégourdir les jambes m'a permis de repérer un de ces lavabos avec un jet d'eau parabolique pour boire confortablement au robinet, comme dans les films américains.

L'horloge affiche une heure.

Mon estomac me rappelle gentiment que le dernier plein en joules à peu près consistant remonte à la veille au matin de la timezone voisine. Mes jambes me traine péniblement vers le gourbi à sandwichs le plus proche. Mon choix s'arrête sur un sandwich avec des machins entre deux tranches de pain. Impossible de me rappeler du contenu exact, mais cette nourriture m'a calé.

L'ilot Air France ouvre, et c'est le défilé. Les passagers en quête d'information d'une part, et les personnels de bord évoluant en troupeaux d'autre part. Certains passagers grincheux monopolisent les personnels de l'accueil ; rien de nouveau sous le soleil. D'autres passagers avec des enfants sont dans une situation beaucoup plus délicate, mais sont heureusement aussi bien entendus par l'accueil d'Air France.

L'horloge affiche deux heures.

Les sièges près de l'ilot Air France sont chargés, direction un coin plus au calme, la file d'attente pour la première classe par exemple, du moins les sièges à vingt mètres de là. Mes micro sommeils sont aussi chaotiques que la nuit à l'hôtel ; c'est bien dommage pour profiter de l'heure de la sieste.

Le scanneur de bagages est dans mon champ de vision. Tout y passe, les valise, avec ou sans scellé, les cartons, avec ou sans étiquette Fragile, les crosses de hockey, des fois que...

L'horloge affiche trois heures.

Un petit tour pour me dégourdir les jambes me ramène à l'ilot Air France, avec un nouveau troupeau de personnel navigant gravite autour du personnel de l'accueil. Une tête familière se démarque, celle de l'hôtesse de la veille, avec laquelle eut lieu la conversation surréaliste. Rétrospectivement, cette conversation, notamment en regard de ce que pourrait être le calculateur, et à quel point la réparation d'un tel outil, surtout en plein vol, était hors de ma portée, relevait de l'inconscience pure. D'abord s'échange un regard, et puis ensuite un sourire jusqu'aux oreilles. Mon once de dignité voudrait que la honte d'avoir prétendu pouvoir réparer ce calculateur soit présentement mon sentiment, mais ce sourire est d'un réconfort inégalé, à un moment où ce besoin de réconfort est d'une absolu nécessité. Et peut-être que ce réconfort est réciproque, peut-être...

Impossible de me rappeler du début de la conversation, mais tout en parlant ma voix n'avait pas son timbre habituel, et mes tripes sont comme passées dans un trou d'air, comme à bord du vol AF639, à bien y réfléchir. Quelques bribes me reviennent, à nouveau tentons d'être aussi factuel que possible :

Hôtesse - Est-ce que vous avez été pu être admis sur un vol ?
Moi - Oui, j'en ai un à 21:30 ,mais je crois que d'autres ont eu moins de chance...
Hôtesse - Avez vous pu dormir ?
Moi - Un bus nous attendait à la sortie de l'aéroport. Nous avons été au Radisson.
Hôtesse - Est-ce que ça va ?
Moi - Oui
Moi - oui
Moi - ...
Moi - Hum...
Moi - j'ai du mal à dormir...
Hôtesse - Ah, vous avez du mal à dormir. :(
Moi - oui...

Le phrasé ne correspond probablement pas à la réalité. L'enchaînement m'échappe, mais quand vient pour l'hôtesse le moment de rejoindre son vol :

Moi - au revoir
Hôtesse - À bientôt !

Le À bientôt est toujours très présent dans ma tête. La formule semble usuelle pour les membres de la compagnie, au moment de débarquer les passagers dans des conditions de voyage classiques. Peut-être étais ce juste un automatisme professionnel, peut-être étais ce une réelle intention de revoir, mon cerveau est limité et ne peut interpréter que les informations qui lui sont fournies par mes sens, mais ne peut pas interpréter les pensées de mon prochain.

Conserve la tête froide ; la conscience professionnelle est si tenace que même la mort ne peut la détruire, du moins dans l'interprétation du mythe d'Orphée de Jean Cocteau. C'est même ce qui a dû te pousser à jeter un œil à ce fichu calculateur en premier lieu.  >_<

L'horloge affiche quatre heures.

À un point dans le temps qui m'échappe, suite à un passage à l'accueil d'Air France, parce que c'est dommage que ce soient toujours les même qui y aient le droit, retour au cordon de sécurité, mais même punition. Le délai pour acceptation du franchissement de la sécurité à l'aéroport JFK est de quatre heures avant le décollage, mais pas plus tôt.

L'horloge affiche cinq heure (et demi).

Direction la sécurité pour la troisième tentative, qui cette fois ci s'avéra être fructueuse. Autant à l'aéroport de Houston, l'infâme scanneur américain du TSA a pu être contourné pour passer par le bête détecteur de métaux à la place, autant cette fois, pas de bol, tout le monde y passe. Et c'est qu'en plus un truc serait apparu sur mon épaule, ce qui m'a valu un léger délai avec la sécurité. En fait, peu de cas sera fait de la sécurité, ma maison est très loin d'ici, et ma présence en ce lieu est anormale en soi.

C'est pour ainsi dire la fin de l'attente, même si quatre heures supplémentaires doivent s'ajouter avant le décollage, puis le temps de trajet au dessus de la mare, puis le trajet depuis l'aéroport jusqu'à la maison. Assis à la porte correspondante, les passagers arrivent au compte goute pour le vol de 21:30 vers Paris. Mon regard se perd dans la foule, le câblage de mon cerveau le fait s'arrêter sur une américaine canon comme dans les films.

Mes collègues m'ont gentiment recommandé d'éviter la classe économique, ou du moins de prendre la premium, au risque d'être coincé entre des personnes de corpulence notoire. Mais très honnêtement, mon gabarit me permet de me faufiler à peu près n'importe où, et ma voisine se trouvait être la charmante américaine. Le circuit neuronal qui m'a valu le qualificatif de gentleman lors de la dernière revue de performance est raccordé de toute urgence, inutile d'être lourd, en particulier si une histoire potentiellement palpitante est disponible directement en piochant dans ses souvenirs proches.

Figure : vol AF 11 pour Paris

Est-ce qu'enfin ce pourrait être le moment de l'épilogue ?

Le vol AF 11 se déroule sans encombres. L'atterrissage a lieu le dimanche en fin de matinée, l'entrée au pays se déroule en un claquement de doigts. Mon cerveau a menacé de faire un arrêt brutal dans le RER, et mon cœur a commencé à me provoquer des douleurs, essentiellement suite à un défaut majeur de sommeil. En rentrant, ce qui devait être une petite sieste afin de récupérer un peu s'est transformé en une nuit de dix-huit heures de sommeil.

Bien des années auparavant, une personne comptant beaucoup pour moi m'a demandé de développer cette spontanéité mesurée qui aurait dû faire des merveilles, ou aurait pu causer du dégât en l'occurrence, eusse les circonstances été différentes, afin de changer de vie non pas une fois, mais de renaitre chaque jour. Même si l'incident a été globalement plutôt bien maitrisé, le monde a changé, tout du moins la perception que m'en fournit mon cerveau. L'hôtesse, l'attribution des places, ces évènements ont eu un côté trop beau pour être réel, et parfois la croyance selon laquelle mon cerveau me montre cette réalité au lieu de me montrer ce qui est en réalité mon décès dans un éventuel accident me prend.

Alors autant que possible rendons le monde agréable à vivre !

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